Revue Internationale de sociologie – 1910 – Séance du 8 juin 1910 – La ménagère et le féminisme – page 499
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Société de Sociologie de Paris. Séance du mercredi 8 juin 1910. La séance est ouverte à neuf heures du soir par M. Léon Philippe, président.
Participants :
Augusta Moll-Weiss, fondatrice et directrice de l’Ecole des Mères
Lydie Martial, Jacques Novicow, Raoul De La Grasserie, Paul Vibert, René Worms.
La Société aborde ensuite l’examen du sujet inscrit à son ordre du jour : La ménagère et le féminisme.
Madame Augusta Moll-Weiss, fondatrice et directrice de l’Ecole des Mères, fait sur ce sujet une communication dont voici le résumé :
Mesdames, Messieurs,
Dans différentes publications féministes et à différentes reprises j’ai lu mon nom suivi de ces mots : « qui n’a pas d’idées subversives » ; si bien que j’ai fini par penser que c’était devenu là, pour ce qui me concerne, une sorte d’épithète homérique. Mais pourquoi cette appellation ? Probablement parce qu’on s’est imaginé que m’occupant surtout de l’éducation familiale et ménagère de la femme, je devais implicitement conspirer contre son émancipation intellectuelle et rêver – selon une pittoresque expression de M. Cheysson – de l’emprisonner dans un pot-au-feu, C’était confondre la conception routinière et empirique de renseignement ménager et celle qui est la nôtre ; et je voudrais démontrer ici, ce soir., qu’être une meilleure ménagère cela permet d’être une meilleure féministe, ou, si vous préférez, permet de se libérer davantage de l’emprise brutale et tenaillante des besognes terre à terre. Bien plus, BD travaillant à cette éducation familiale de manière scientifique, méthodique et raisonnée, on ne travaille pas seulement à élever la femme, à augmenter le bien-être du foyer, mais on finit fatalement, et par un ricochet qu’on if aurait pas prévu, à amener à la femme un aide inattendu, le mari, tout en déterminant une évolution plus harmonieuse et plus heureuse vers une égalité désirable et déjà atteinte sur plus d’un point.
I
Sans doute serait-il plus poétique, au lieu de s’occuper du ménage et des nombreuses et infimes besognes qu’il amène avec lui, de rêver d’une terre ou les poussières resteraient indéfiniment suspendues dans l’espace ; où de sobres estomacs se contenteraient pour toute pâture de quelques gouttes de rosée, où le corps se revêtirait de nuées argentées qui n’exigeraient ni blanchissage, ni raccommodage. Mais il y aurait certainement quelque inconséquence à vivre comme si le rêve était une réalité et il m’a paru qu’une autre poésie pourrait bien naître de notre vaillance à considérer la vie en face, telle qu’elle est, et a lui faire donner, pour ceux que nous aimons, le plus de bonheur possible.
Les femmes qui ont le moyen d’être de pures intellectuelles sont les moins nombreuses, la majorité est formée des ménagères modestes et des travailleuses de tous ordres, ouvrières, employées, etc. C’est cette majorité qui est plus intéressante, c’est à ces femmes qu’il faut songer d’abord, car elles sont les plus nombreuses. Qu’elles restent au pauvre foyer, ou qu’elles courent au magasin ou à l’atelier, ce n’est que par des miracles qu’elles arrivent à équilibrer la recette et la dépense.
De temps à autre pour hausser le salaire le mari ou la femme organise des grèves ; mais il est des limites fatales aux augmentations obtenues, augmentations d’ailleurs relatives, car l’ouvrier, ne l’oublions pas, est aussi consommateur.
Il m’a semblé qu’à côté de la grève il était d’autres moyens d’augmenter le bien-être des milieux modestes :
– En apprenant à la femme à tirer le meilleur parti de ses ressources ;
– En lui apprenant la meilleure manière d’économiser ;
– En lui apprenant les vrais besoins de son organisme ;
– En lui apprenant à discerner entre ses besoins.
Ainsi que l’écrivait notre éminent collègue, M. Levasseur, dans l’une de ses dernières œuvres : Ce n’est pas seulement, comme on l’a répété à satiété, parce que la valeur de l’argent diminue que la vie a renchéri, mais parce que la quantité et la qualité des marchandises nécessaires pour satisfaire à l’accroissement de nos besoins ont augmenté ; « c’est pourquoi on peut dire que si la valeur commerciale de l’argent a peu changé, la valeur sociale de l’argent est beaucoup moindre qu’il y a trois quarts de siècles. »
En lui faisant connaître ses vraies richesses et leur meilleur emploi : la valeur de son enfant « capital humain » qui négligé, mal soigné, sera sa vie durant, à charge à la société et à lui-même ; exemple : enfant poussé au gain trop hâtif et ne faisant pas d’apprentissage, si bien qu’il ne sera jamais qu’un manœuvre.
En lui apprenant à compter avec intelligence et à évaluer avec justesse ; gain relatif de l’ouvrière ; le demi-temps de travail pour la femme.
Et d’autre part, en s’efforçant si bien de préparer la femme à ses fonctions ménagères, qu’elle domine sa besogne au lieu d’être dominée par elle, sans oublier que le travail ménager développe intellectuellement et moralement plus que le travail à l’usine,
En s’efforçant de simplifier cette besogne, de multiplier les machines domestiques, d’en rendre l’achat accessible aux bourses les plus modestes de façon que le travail ménager devienne de plus en plus, dans sa partie manuelle, la machinale besogne d’un peu de fer et de bois qu’un engrenage ingénieux suffira à mouvoir.
En s’efforçant aussi d’éveiller chez les femmes l’amour du milieu familial.
Car leur inspirer l’amour intelligent de l’enfant, l’amour poétique du foyer, cultiver dans leur cœur le souvenir de ceux qui ne sont plus, ne me semble pas, pour la dignité et l’avenir plus heureux de la famille, de moindre importance, que de leur apprendre a établir leur budget ou a préparer les mets nécessaires à l’alimentation journalière.
II
Mais voilà que ce modeste enseignement de la famille a passé aux collectivités humaines féminines et masculines. Il a fait merveille dans les milieux où l’on hospitalise les femmes, dans les hôpitaux, voire même dans les casernes, ainsi que l’a copieusement démontré il y a environ deux mois le troisième concours de cuisine régimentaire. Il ne s’arrête plus à l’école primaire, à l’école normale, au lycée aux jeunes filles, nous le distribuons dans nos écoles de garde indifféremment aux fillettes et aux garçonnets. C’est ensemble qu’ils font les achats des substances alimentaires, ensemble qu’ils font les préparatifs nécessaires au repas, et pendant que les filles raccommodent les chaussettes, desquelles il a été si souvent parlé, nous enseignons aux garçons à ressemeler les chaussures, ce qui n’a pas une importance moindre dans un ménage ouvrier.
Si bien que sans heurts et sans révolution, par une évolution due à une éducation appliquée aux circonstances, nous allons vers l’entente, vers l’entr’aide familiale, la meilleure, la plus charmante et la plus efficace des coopératives, où chacun fait selon ses forces, où personne ne se désintéresse du résultat final.
III
Mais pourquoi faire de l’enseignement ménager aux riches et aux intellectuelles ?
Dans une magistrale conférence sur « La défense de la vie », le professeur Grasset, de Montpellier, faisait remarquer à son auditoire que sans le système nerveux cette victoire serait impossible car c’est lui qui l’organise.
La partie intellectuelle d’une population me semble toujours, par rapport à celle-ci, ce que le système nerveux est à notre organisme.
Pour prévenir et organiser la victoire il faut qu’elle sache : c’est son premier devoir, le second c’est de fournir des armes pour la défense. C’est grâce aux femmes riches, grâce aux femmes instruites devenues de nobles et savantes monitrices sociales que le moment n’est pas loin peut-être où chaque ménagère-mère, même la plus modeste, saura élever, soigner, défendre son enfant ; où elle pourra vraiment et en toute justice être considérée comme la meilleure éducatrice de son enfant. Ce jour-là, la question de l’assistance aux mères pauvres sera résolue ; dans ce pays où les enfants font défaut on rendra aux femmes la place que leur prend souvent l’assistance publique ou l’orphelinat. et la patrie saura bien trouver les ressources nécessaires pour laisser auprès de chaque nouveau-né celle qui lui a donné la vie.
Je passais hier aux Champs-Elysées dans l’un de ces jardins tracés avec un art si parfait qu’on se serait cru à des lieues de ce Paris d’où me séparaient à peine quelques branches touffues ; par un caprice du jardinier, chaque arbuste au feuillage vert tendre alternait avec un arbuste à feuilles si dorées qu’elles semblaient déjà effleurées par la brise automnale ; elles étaient cependant sorties de leurs bourgeons en même temps que les feuilles voisines et contribuaient, comme elles, par l’opposition même qu’elles créaient, à l’esthétique de l’ensemble.
Ainsi des forces différentes peuvent contribuer au même résultat définitif ; s’habituer à ne les juger que lorsqu’on les connaît vraiment, c’est aller à la fois vers plus de bonté et vers plus de justice.
DEBAT
M. Léon Philippe, président, remercie et félicite la conférencière de son exposé. Puis, les observations suivantes sont présentées par divers membres.
Mme Lydie Martial
– La question « Ménagère et Féminisme » peut se traiter de deux manières :
1° En soulevant les problèmes économiques tout particuliers dont s’est occupée Mme Moll-Weiss, visant plus spécialement la femme ouvrière et la situation économique de transition que nous traversons et qui n’aura qu’un temps.
2° En l’envisageant pour toutes les femmes, quelles que soient leurs conditions sociales. Car le féminisme renferme tout ce qui concerne la réalisation, et, par conséquent, la libération et la culture complète de la femme dans tous les domaines de l’activité humaine.
La grandeur du but du féminisme n’a de comparable que la grandeur du but poursuivi par notre nouvelle étape évolutionnelle.
Peu de femmes étudient la question dans toute son envergure. Chaque femme agit selon ses raisons et ses moyens, et selon le but qu’ils lui permettent de voir. Celles qui embrassent l’ampleur finale du travail qui commence ne négligent pas les détails de la vie présente, ni les nécessités de l’heure actuelle. Et je puis affirmer que ce sont celles qui semblent le plus idéalisées, mais dont l’idéalisme repose sur une base positive et rationnelle solide, qui se montrent, en tout désintéressement, le plus pratiques dans l’action.
Au seul point de vue ménager, tandis que j’exposais, en 1904, l’éducation humaine rationnelle dans un préau d’école, sous le patronage de M. Beilan, syndic au conseil municipal, Mme Edwards-Pilliet créait, rue des Capucines, un cours d’enseignement ménager, un cours de cuisine qui eut le plus grand succès et qui prouve sa préoccupation dans un temps où nulle femme n’y pensait à Paris. Depuis deux ans que je suis présidente des Dames patronnesses du cours populaire d’enseignement laïque, j’ai orienté l’activité de mes collaboratrices vers la réalisation de la femme, qu’il faut former dans l’enfance. Nous avons fondé à Montmartre et dans divers arrondissements de Paris, dans des écoles primaires, des cours d’hygiène personnelle et domestique, des cours de cuisine qui réussissent très bien et dont les résultats sont déjà excellents pour les fillettes, les jeunes filles et pour leurs parents. Ce n’est qu’un commencement ; l’œuvre s’étendra peu à peu à Paris et en province.
Personne ne doutera que les causeries qui s’y donnent pendant que les mets cuisent, après la préparation par les élèves de leur spécial accommodement, traitent de l’éducation humaine rationnelle autant qu’elles attirent et retiennent l’attention sur le choix des substances, sur l’économie domestique, les soins détaillés du ménage et la propreté que l’on néglige toujours et qui semblent ennuyeux si l’on n’y a pas été habitué, rompu dès l’enfance.
Au point de vue sociologique, il est intéressant de constater que ce sont les fillettes de 12 à 14 ans qui se montrent les plus avisées, les plus assidues, les plus adroites, les plus compréhensives, les plus intéressées. Il y a dans cette génération une ouverture cérébrale, un amour de savoir, une ardeur pour bien agir, des plus réconfortantes pour l’ouvrier social. C’est comme un réveil et une affirmation victorieuse de tendances ataviques qui furent perturbées par le désordre des quarante dernières années et qui se réveillent plus fortes, plus vivantes que jamais. Tandis que les jeunes filles de 18 à 20 ans disent comme leurs mères : « On a bien le temps de s’occuper de ça quand on se marie », les jeunes veulent tout de suite être de petites femmes entendues.
Vous ne sauriez croire ce qu’on obtient d’elles en leur faisant comprendre le rôle que la fillette et la jeune fille ont à jouer dans la maison familiale, entre le père et la mère, que la lutte pour la vie sépare souvent après avoir chassé l’amour du foyer.
C’est elle, la petite fille, qui doit savoir y ranimer la flamme ; c’est elle qui a sur le père une influence unique, surtout si elle sait être câline avec lui et lui rendre la maison riante, en satisfaisant ses goûts : l’homme aime ce qui flatte le palais et l’œil ; une cuisine agréable, un intérieur propre, une fillette bien arrangée et qui sait lui dire : « Mon petit père chéri, tu serais bien gentil de faire ceci, de faire cela et de rester avec nous. » Le voilà tout ému, tout content, tout obéissant et délaissant le cabaret pour la maison. N’est-ce pas du vrai féminisme en action ?
Car ceci, nous l’avons obtenu, ainsi que la correction d’une mère qui se consolait de ses déboires, de ses désillusions en cultivant la dive bouteille. De voir l’exemple de sa petite fille de 14 ans qui est et sera une maîtresse petite femme, elle a eu honte et elle s’est déshabituée de boire.
Je suis persuadée que l’on se trompe sur le féminisme comme sur tout ce qu’on considère subjectivement, quand on accuse les féministes de ne pas vouloir faire des femmes capables d’être morales et de savoir faire leur devoir, parce qu’elles réclament leurs droits et ne veulent plus de l’ancienne éducation. C’est tout le contraire qui existe. D’ailleurs, pourquoi vouloir quand même s’obstiner à garder le type de femme qui convenait à la société précédente ? Autre temps, autres mœurs. Tout évolue. L’ère de liberté permet à toute la vie sociale de progresser ; pourquoi vouloir que la femme seule reste stationnaire, quand c’est en elle, au contraire, en elle seule que la vie condense pour l’humanité toutes les qualités, tous les germes de l’ère nouvelle, germes et qualités que, petit à petit, l’amour fixera dans la race, afin que l’esprit, en les fécondant, en fasse de la vie progressante.
Les femmes féministes veulent que la femme soit toute la femme. Et l’on ne voit pas en quoi cela peut gêner nos contemporains, puisque ce ne sont pas eux qui verront ce résultat. Je les en plains sincèrement, car l’homme qui aura le bonheur de pouvoir être secondé, aimé par la vraie femme sera bien près d’être lui même l’homme dans la noblesse et la dignité de sa véritable nature. Pythagore disait que l’homme peut tout craindre en se livrant à la femme inconsciente et impulsive, mais qu’il doit tout attendre, même le bonheur divin, de l’initiée, de la vraie femme qui sait et qui veut vivre rationnellement selon les lois de la vie.
En attendant, nous voulons que la femme sache tout faire de ce qui concerne son état humain et féminin. C’est la base de la liberté. Le ménage, la cuisine, l’hygiène sont les premiers enseignements indispensables à lui donner, comme à l’homme, d’ailleurs, car l’homme qui ne sait pas ce que c’est que faire le ménage, la cuisine et de veiller à l’hygiène, ne comprend pas le mal qu’on s’y donne et salit tout, dérange tout, sans se soucier du désordre qu’il suscite. Ce qu’on ignore n’existant pas pour nous, il est urgent que celui qui doit profiter du bienfait que lui fera goûter la femme bien élevée en soit conscient et n’y porte pas préjudice.
Réalisons-nous donc, Mesdames, malgré les luttes économiques, malgré nos détracteurs et au milieu des difficultés qui nous entourent, car ce ne sera que lorsque nous serons toute la femme, que nous saurons faire des hommes dignes de nous et de notre amour.
Mme J. De Maguerie prononce, au sujet des salaires féminins, quelques paroles auxquelles Mme Moll-Weiss répond.
M. Jacques Novicow
Mesdames et Messieurs… et avant toute chose, permettez-moi de constater qu’il y a beaucoup plus de dames que de messieurs. Je suis heureux de voir combien la sociologie éveille leur intérêt.
Ceci dit, j’entre dans mon sujet.
Les antiféministes croient nous terrasser en affirmant que la femme doit rester dans son ménage pour soigner ses enfants. Cependant personne n’a encore fait cette remarque que si une femme peut rester dans l’intérieur de sa maison, ce n’est pas parce qu’elle est femme, mais c’est parce quelle a des ressources.
Un homme aussi qui reçoit un héritage de son père, peut rester chez lui et ne s’occuper que de son intérieur. Quand un mari, un frère, un père, un ami, fournissent des ressources à une femme ou quand elle possède une fortune personnelle venant de ses parents, elle peut parfaitement réaliser le vœu des antiféministes et rester dans son ménage pour soigner ses enfants. Mais si elle n’a aucune ressource venant du dehors… la femme en restant chez elle pour soigner ses enfants ne pourrait pas le faire longtemps puisqu’elle mourrait de faim à bref délai, elle et sa progéniture. Force lui est donc faite de travailler et d’aller au dehors.
D’ailleurs, nous les féministes, nous ne demandons nullement que la femme vive hors de sa famille et de sa maison, nous comprenons que la division du travail qui met la femme à l’intérieur de la maison, et l’homme au dehors, est une combinaison des plus bienfaisantes et et des plus heureuses. Je dirai même plus. Je suis persuadé que dans un ménage où le mari pourrait gagner 3 francs et la femme 2 francs on vivra mieux si la femme reste chez elle, ne gagne pas les deux francs supplémentaires et soigne bien son ménage.
Non, ce que nous demandons, nous autres féministes, c’est le droit absolu de la femme de s’occuper de tous les métiers et d’entrer dans toutes les carrières. Il ne peut pas en être autrement pour peu qu’on ait le moindre souci des progrès généraux des sociétés. Les sociétés sont des êtres extrêmement complexes où il y a des actions et des fonctions innombrables, mais pouvant se ranger par ordre hiérarchique d’importance. A la tête de toutes, viennent les fonctions intellectuelles. Ces que nous demandons, nous autres féministes, c’est qu’on ne vienne pas dire à une femme de génie : « Cessez de vous occuper d’œuvres de l’esprit, allez soigner votre mari et vos enfants ». Mais les femmes de génie sont aussi rares que les hommes de génie. Il y en a à peine une sur un million. Lorsque cette rare supériorité sera dispensée de s’occuper de son ménage cela ne voudra pas dire que les 999.999 femmes appartenant au commun des mortels devront cesser de s’en occuper également. Vous voyez donc, Mesdames et Messieurs, que le féministe le plus outrancier peut parfaitement s’accorder avec les idées émises par Mme Moll-Weiss.
M. Raoul De La Grasserie
M. Raoul De La Grasserie pense que la question soulevée implicitement par l’oratrice, celle de savoir quels rapports, quelle compatibilité et quelle solidarité peuvent exister entre le féminisme et la femme de ménage, ne peut être envisagée qu’au moyen de distinctions ; malgré sa répugnance à faire ressortir les différences de classe, ce qui les aggrave toujours, il lui semble certain que cela est indispensable ici, et que les situations île la femme du monde et de celle des classes laborieuses entraînent de telles différences dans le genre de vie que la question féministe ne peut y comporter un traitement identique.
Il faut considérer d’abord la première parce que, si socialement la question est la moins importante, la moins vitale, puisqu’elle semble plutôt de principe abstrait, voire d’amour-propre, c’est celle qui doit exercer comme toujours la plus grande influence sur l’ensemble, l’exemple venant d’en haut, comme on le répète souvent avec tant de raison. Les premières idées de liberté, même de démocratie, sont descendues des classes dirigeantes ; ce sont celles-ci qui ont souvent donné la première impulsion au féminisme.
Ce féminisme rendra-t-il la femme de caractère plus pratique, s’occupant davantage de sa maison, de son mari, de ses enfants, si elle est mère de famille » de son intérieur dans tous les cas, diminuant, non pas son aménité, ni son élégance de bon goût, mais économe, mais seulement sa frivolité, sa vanité, sa prodigalité trop fréquentes ? En un mot deviendra-t-elle, sous ce régime nouveau, une bonne femme de ménage, ou, au contraire, le féminisme va-t-il encore exagérer ses quelques défauts, tribut naturel de ses hautes qualités ? On résout trop facilement cette question, en disant que la femme avec sa souplesse et la légèreté de son doigté saura s’adapter à ces idées nouvelles, sans aucun heurt, et que déjà par sa chanté, devenue de la philanthropie, puis du solidarisme, elle sait jouer habilement à la bonne femme de ménage, ce qui est un droit chemin vers le féminisme.
Il faut sans doute en rabattre un peu et ramener au point, car il y a féminisme et féminisme.
L’orateur en connaît deux bien tranchés, le féminisme angloaméricain, et le féminisme français ; il en essaye le parallèle.
Le premier est très connu, il a fait l’objet de beaucoup d’études, il a comme exotique ou comme étranger, une grande attirance pour nous. Tout le monde sait les descriptions de la jeune fille ou de la femme anglaise ou américaine, même en général germanique. Elle est essentiellement féministe, non à cor et à cri, mais simplement, silencieusement ; elle pratique plus qu’elle ne proclame, elle ne recherche pas l’amour-propre, mais l’autonomie essentielle. Elle ne se cache pas de vouloir le mariage, avec la sympathie et l’estime réciproques, comme l’un des buts de la vie. Elle veut en même temps que l’union la plus fidèle ne détruise pas son indépendance. Elle n’aspire pas à commander mais ne se résigne pas non plus à la passivité. Son mariage est de pur choix : dès son enfance elle y est préparée par la coéducation ; elle a souvent dès lors choisi, et le compagnon de l’enfance deviendra celui de toute sa vie. Plus tard, c’est le flirt, mais pas le nôtre, qui donne le choix définitif. Elle se marie sans dot, veut être aimée pour elle même. Dès lors, elle suit la fortune du mari, elle l’aime ainsi que les enfants, s’attache à son home, mais le quitte s’il le faut, non seulement sans plainte, niais sans regret , car il ne disparaît pas, il se retrouve aux extrémités du monde, partout où sa famille s’est transportée.
Et de même qu’elle garde en tout lieu jalousement son foyer, elle maintient son indépendance, elle n’est point la femme d’obéissance et jadis de servitude comme chez nous, elle n’est point non plus la révoltée, qu’on vous conseille parfois de devenir ; le mot qui la caractérise, ce n’est point l’égalité, dissociée et revêche vis-à-vis de son mari, c’est l’interdépendance.
Et si elle n’est pas mariée, ce n’est plus dans la famille qu’elle peut avoir à lutter, c’est contre l’étranger, contre tout le monde, car la femme se trouve plus isolée par la retenue de son sexe, par sa beauté même, par sa moindre aptitude au combat pour la vie. Mais elle s’en tirera sûrement, elle est née, en effet, plus combative.
Comment a-t-elle acquis ces qualités si précieuses qui la rendent vraiment complémentaire de l’homme, et si elle est seule, valent un homme lui-même ? Est-ce en proclamant le féminisme, ou en revendiquant tous les droits ? Oui, sans doute, ce n’est point une féministe muette, elle sait que socialement ce n’est qu’en parlant très haut qu’on obtient. Aussi elle les a acquis dans une bonne mesure. En Angleterre elle est devenue électeur et éligible, aux conseils de bienfaisance et aux paroissiaux, aux conseils municipaux et aux provinciaux. Depuis 1907, elle peut être nommée maire d’une grande ville ; grâce aux efforts des suffragettes, elle siégera bientôt dans les assemblées politiques. Mais c’est surtout comme femme de ménage qu’elle a obtenu ces triomphes successifs, chez elle elle ne néglige pas le moindre détail, travaille de sa propre main, surveille sa maison ; au besoin se sert elle-même et sa famille, quand une bonne vient à manquer ; elle est pratique ; ce qui ne l’empêche pas, grâce à son intelligence cultivée à point, de comprendre son mari et de dépasser ces lueurs de tout, mais si faibles, que lui permettait parcimonieusement Molière, Sans doute, ce prix du triomphe a dû paraître à quelques-unes assez dur, elles auraient peut-être goûté l’affection et l’indépendance sans le travail, mais elles savent que ce ne serait pas juste » et que leur dignité est à ce prix. C’est l’assiduité à leur ménage qui les a conduites au féminisme modèle qui règne au delà de la Manche et de l’Océan,
En est-il de même chez nous ?
Notons que le féminisme est d’importation. Il nous vient d’ailleurs ; nous l’avons eu plus tard, mais comme autrefois le jury, le régime parlementaire et d’autres institutions, combien nous les avons défigurées! C’est que la transplantation est chose difficile. Nous lui trouverons bien encore ici les mêmes formules, mais non le même caractère. C’est qu’aussi celui-ci diffère de tous points. Sans doute, nos femmes du monde sont loin de mériter la mauvaise réputation que leur ont faite à l’étranger nos romanciers et nos dramaturges ; dans sa comédie : La Française, Brieux les a spirituellement et à bon droit vengées. Mais s’il est injuste de faire de Paris, la Babylone que l’on sait, et de la Parisienne, l’être charmant, mais fort léger que l’on proclame » il faut bien reconnaître qu’avec ses brillantes qualités la Française a peut-être des défauts qui en sont la condition, mais qui n’en sont pas moins fort gênants pour rendre le féminisme effectif. Il est d’ailleurs naturel à la femme d’apporter à tout ce qu’elle touche, fait ou dit, un brio qui dégénère en déclamatoire et ostentatoire ; elle rend tout subjectif, tandis que l’homme se tourne plus volontiers vers l’objectif. Elle nous semble en France, de plus en plus portée vers la toilette et les luxes de toutes sortes. Où s’arrêtera-t elle ? Dans cette situation » elle est mal posée » pour le féminisme, surtout le féminisme intégral » comme on l’appelle ambitieusement. Elle n’en veut d’ailleurs que les avantages et les plaisirs d’amour-propre, tous les autres lui appartiennent déjà. Cependant par le féminisme, elle entend monter plus haut que l’homme, à côté et au-dessus. Pour elle c’est une outrance flatteuse. Jamais, par contre, au grand jamais, elle ne voudrait pour cela descendre jusqu’à s’occuper de son ménage ; ses mains trop blanches le lui défendent bien. Elle en restera à la théorie, elle essaiera seulement de s’assimiler à l’homme. Elle ne veut que monter, et point descendre. Parfois, il est vrai, car elle aime pour un moment tous les rôles, elle sera une femme de ménage, mais seulement celle d’opéra-comique et pendant un seul acte.
On voit l’immense écart qui existe entre le système anglo-américain et le nôtre, combien celui-ci est peu sérieux, et tant qu’il reste tel, incapable d’obtenir les merveilleux résultats que nous avons indiqués. Il suffit de citer une revue qui chez nous a la prétention de guider le féminisme et qui y incite les lectrices par la description des toilettes les plus délicieuses… et les plus chères, les mène de couturiers en couturières, leur ouvre des cercles, des théâtres spéciaux et les conduit vers des hauteurs vertigineuses du monde et de la mode, c’est Femina. Eh bien, le vrai, le bon féminisme, ce n’est pas celui de Femina. Là, il n’y a plus de place pour la femme de ménage, cette qualité essentielle du féminisme sincère et efficace.
Telle est la situation pour la femme des classes dites dirigeantes ; bien plus intéressante est celle des classes laborieuses ; ici la bonne volonté ne suffit plus. Mais le ménage peut, dans un certain cas, apporter un remède ou tout au moins une consolation à sa triste destinée ; elle s’y prêterait volontiers, et il pourrait lui assurer plus d’indépendance et plus de succès dans la lutte pour la vie. A moins d’avoir été déviée par trop de misère ou de luxe, la femme est économe, vit de peu, abandonne volontiers une partie de ce peu à son enfant, même a son mari dans le chômage, elle possède quelques-unes de ces fières vertus féminines qui procèdent d’un bon cœur souvent rencontré chez elle. Elle en a d’ailleurs besoin, car si elle reste seule elle gagne presque toujours un salaire insuffisant pour vivre, beaucoup de métiers lui sont interdits, et pour les autres elle se trouve en concurrence avec l’homme, elle travaille à un prix réduit souvent de moitié ; la moindre maladie bouleverse son petit budget. Si elle est mariée, ses ressources augmentent en principe ; en pratique, elles peuvent diminuer, car le chômage peut venir, les enfants ont faim, le mari revient en état d’ivresse, ayant bu une partie de sa paye, il n’est pas alors tout à fait aimable et fait supporter à la pauvre femme tous ses soucis, y compris ceux de la grève, s’il en survient une. Le ménage peut devenir un supplice ; cependant la femme y tient ; là sont ses chers enfants, son mari qu’elle aime quand même, son petit mobilier, auquel la femme tient tant dans son petit logis ; cette mansarde exiguë, c’est tout de même son home. Cette habitude du cœur est d’ailleurs moralisatrice. Elle prépare elle-même ses repas et range sa maison avec un certain plaisir.
Mais on l’en arrache. Tout à coup, et cela revient tous les jours, on l’entraîne à l’usine pour y faire un travail pénible, abrutissant, loin de tous les siens. La maison va rester seule ; le mari, la femme, chacun est à son usine maintenant. Ils ne reviendront que le soir. La femme est employée à des travaux pour lesquels elle n’a pas la force musculaire nécessaire ; ce qui est presque un jeu pour L’homme exige souvent une tension douloureuse pour la femme ; il faut les voir, par exemple, tous les deux occupés au tissage mécanique. D’ailleurs, la femme n’est pas capable de la même durée de travail. Pendant ce temps, que vont devenir les enfants ? Il est vrai qu’il y a pour eux les salles d’asile, encore une maternité artificielle ! Tout en peinant, la mère suit de la pensée l’enfant qu’elle a laissé là-bas, elle voudrait retourner à son ménage, mais elle reste captive jusqu’au soir. Le patron guette son travail et si le bras de la femme se ralentit sous la fatigue ou la pensée, il songe que ce travail est peu productif et qu’il vaudrait mieux désormais employer le travail de l’homme.
La voici de retour chez elle. Tout le monde rentre, il va falloir vaquer au modeste repas. Elle a encore dans la tète t’usine qui la suit. Elle travaille mal à sa nouvelle occupation ; maladroite, lassée, elle est grondée, elle ne peut cependant faire mieux et se décourage. Elle voudrait rester là, y travailler, s’appartenir. Mais le lendemain, vite encore à l’usine!
Comment sortir de cet enfer ? Cela paraît bien simple. Retourner au système ancien de distribution du travail entre l’homme et la femme ; le premier, apte aux plus durs travaux, en plein air, à distance, pendant un temps plus prolongé, et par sa force pouvant gagner, non seulement sa propre vie, mais celle de sa femme et de ses enfants. Pendant ce temps, la femme vaque aux soins de son ménage, à la cuisine et la couture, elle fait le ménage des voisins, elle prend de l’ouvrage aux pièces, qu’elle confectionne chez elle, entourée de ses enfants dont elle élève le cœur et l’esprit. C’est un humble idéal, sans doute, mais c’est encore un idéal. Pourquoi ne pas y revenir ?
Voilà le point angoissant! C’est désormais impossible. On ne revient jamais quand on est sur la grande route de l’évolution. C’est que le salaire de l’homme seul ne suffit plus pour nourrir toute la famille. Il faut que la femme apporte son contingent, non plus seulement aux soins conjugaux et maternels, mais en argent aussi, et elle n’a de gain sérieux qu’à l’usine. Comment alors l’empêcher d’y retourner ? La faute en est surtout à l’abaissement énorme de la valeur de l’argent qui se traduit en la nécessité d’une plus grande quantité de ce métal pour acheter le même objet ; en un mot, dans la différence entre le salaire nominal et le salaire réel : et cet abaissement dérive à son tour d’une production plus grande des métaux précieux. La faute en est aussi peut-être autant aux besoins de l’être humain soit d’utilité, soit de luxe, devenus plus grands, en tous pays ; enfin, et c’est là le côté le meilleur, à la plus grande consommation des richesses que chacun s’attribue, même dans les conditions sociales inférieures, de sorte que tout devient cher pour tous. Comment alors faire que la femme des classes laborieuses redevienne celle qui pouvait se livrer aux travaux de son ménage et aux soins de ses enfants ?
C’est en effet impossible, il n’y a pas pour elle de solution trouvée, et nous applaudirons de tout cœur qui pourra en découvrir une.
Ou a bien proposé le palliatif suivant : la femme laborieuse partagerait son temps entre sa maison et l’usine, par exemple, par moitié. Sans doute, en théorie cela serait un bon expédient, mais en pratique ! Y aurait-il un patron qui voudrait y consentir ? La durée du travail a déjà été restreinte. Si l’on divisait par moitié ce qui reste, ce travail serait non divisé, mais pulvérisé, au point de vue de son rendement. D’autant plus qu’il y a la mise en train nécessaire, ce qui cause une nouvelle déperdition. Le patron fermerait alors l’usine à la femme et se contenterait de l’homme, auquel il ajouterait de plus en plus le travail cruel de l’enfant.
Mais, dira-t-on, tant mieux si l’usine se trouve ainsi entrouverte seulement ou fermée à la femme. Nous répondons : Sera-t-elle fermée, ou le patron n’y retiendra-t il pas la femme par une contrainte morale, en refusant son travail réduit ? Et si elle l’est, la famille va tomber dans l’extrême misère, puisque le salaire du mari ne suffit pas.
Le problème reste donc en ce moment insoluble pour la femme des classes laborieuses. Nous avons vu, au contraire, que pour celle des classes dirigeantes, tout ne dépend que de sa volonté, elle n’a qu’à suivre l’exemple de ses sœurs anglo-américaines, devenir une bonne femme de ménage, et le féminisme intégral lui sera accordé par surcroît.
M. Paul Vibert
Mesdames et Messieurs, après la très intéressante conférence que nous avons entendue, à laquelle la poésie et la sentimentalité n’ont rien enlevé du côté pratique et utilitaire, je voudrais seulement, à son propos, présenter trois courtes observations de détail.
D’abord vous avez, Madame, d’après notre collègue et ami, M. Levasseur, affirmé que la cherté de la vie résulte en partie des besoins nouveaux que nous nous sommes créés ; permettez-moi de vous dire que sur ce terrain je ne suis pas du tout de votre avis. Sans doute la machinerie et les progrès de la science ont démocratisé une foule d’objets, en les mettant à la portée de tout le monde ; mais ce ne sont pas, de ce chef, nos besoins qui sont augmenté, ce sont simplement les misères et les souffrances du peuple qui ont un peu diminué d’intensité, ce qui n’est pas du tout la même chose.
Quant à l’augmentation de la vie, ce n’est qu’un trompe-l’œil ; la vie n’est pas plus chère aujourd’hui que du temps d’Henri IV, où l’on payait un poulet cinq sols.
Grâce à la découverte des métaux précieux, des mines d’or et d’argent, la monnaie métallique a perdu de sa valeur libératrice ; voilà, à côté de la machine-outil, la grande, la principale, je dirai presque la seule raison de l’apparente augmentation de la vie.
Vous disiez fort justement, Madame, que les mères, pour faire gagner de suite leurs enfants, en faisaient des petits commis sans métier, des grooms sans avenir, plutôt que de les envoyer en apprentissage ; c’est parfaitement vrai, mais la cause principale réside, hélas, dans cette constatation douloureuse et angoissante entre toutes : la terrible diminution de notre natalité. L’année dernière il n’y a eu que 770 000 naissances en France, le chiffre le plus bas que l’on ait jamais enregistré ; si cela continue, nous serons la moins peuplée des grandes nations européennes dans dix ans et nous arriverons même après l’Italie ! Dans de telles conditions on comprend que la matière première, je veux dire que l’enfant fasse défaut et que, étant données la division du travail et la machinerie, on ne rencontre plus que très difficilement les apprentis.
Enfin j’arrive au troisième point, à celui qui m’intéresse le plus ; je veux parler du salaire, de la vie de la femme.
Je n’ai point à m’occuper ici des femmes du monde, des bourgeoises qui sont moins intéressantes, à ce point de vue spécial, mais seulement des pauvres femmes du peuple qui, chargées de famille, sont obligées de travailler comme l’homme et qui, veuves, sont réduites à la misère noire, elles et leur milieu. Il faut bien le dire, le patron, le capital, le grand magasin – appelez comme vous voudrez – abusent étrangement du travail de la femme qui n’est qu’un instrument qu’on exploite, dans leurs mains, que dis-je, que de misérables esclaves.
De grands bazars dont je veux taire les noms donnent vingt-cinq centimes à de malheureuses ouvrières en chambre pour faire un chapeau de femme et de grands magasins donnent quinze centimes pour coudre à la machine un corsage de femme ! Eh bien, ce sont là des procédés monstrueux d’exploitation contre lesquels on ne saurait trop s’élever et que l’on peut d’ailleurs constater en étudiant les très intéressantes statistiques publiées par M. Viviani et auxquelles on faisait allusion tout à l’heure.
Notre ami et collègue M. Raoul de la Grasserie demandait tout à l’heure un remède à un pareil état de choses, à une situation si lamentable ; sans vouloir en faire une panacée universelle, il me permettra de lui dire que le remède n’est pas difficile à trouver, qu’il existe et qu’il s’appelle simplement le syndicat !
Que les femmes entrent dans nos syndicats d’hommes et nous serons heureux de les recevoir à bras ouverts, ou, quand il s’agit de professions spéciales à la femme, modes, coutures, dentelles, etc., quelles fassent aussi des syndicats, qu’elles ne redoutent pas au besoin de s’affilier à la CGT ; et alors, mais alors seulement, elles seront le nombre, c’est-à-dire la force et elles pourront se faire écouter, se faire rendre justice et faire cesser l’effroyable servage économique dont elles sont les tristes et douloureuses victimes.
Je sais que cette solution sociologique de la question du salaire des femmes est aussi la solution socialiste, mais comme je suis persuadé qu’elle est la seule efficace, je n’ai point hésité un instant à la soumettre à vos méditations et surtout, j’en suis persuadé, à votre généreuse approbation.
M. René Worms
M. René Worms, répondant à deux affirmations de M. Paul Vibert, montre que :
1° il est exact de dire, avec M. Levasseur, que la difficulté ou le renchérissement de la vie tient moins à une baisse du pouvoir de l’argent, qu’à une extension croissante des besoins ;
2° si l’apprentissage subit une crise, cela est dû, non à la réduction de la natalité, mais au développement du machinisme et aux effets de la loi de 1892 sur la durée des heures de travail. Parlant ensuite de la question générale mise à l’ordre du jour, M. René Worms la résume ainsi. La femme est nécessaire, d’une part au ménage, d’autre part à l’industrie. Le féminisme réclame sa place dans le premier, parce qu’il veut lui conserver son rôle d’épouse et de mère ; et il ne la réclame pas moins dans la seconde, parce qu’il entend que toutes les professions soient ouvertes à la femme comme à l’homme. De fait, il n’est pas possible qu’on écarte la femme de l’usine : d’abord elle y trouve un salaire indispensable pour elle et sa famille ; puis, l’industrie moderne, sans cesse plus productive, réclame tous les bras, et ceux de l’homme n’y suffisent pas. Et cependant il semble bien que la première tâche de la femme serait au foyer. Comment sortir de cette redoutable antinomie ? Seul peut-être un ralentissement de la production en donnerait le moyen. Mais il supposerait d’abord un ralentissement dans le désir effréné de consommation et de bien-être qui caractérise notre époque. John Stuart Mill appelait de ses vœux « l’état stationnaire » ; qui oserait aujourd’hui l’en blâmer ?
Après quelques paroles de M. le Dr Gagey et de Mme Moll-Weiss, la séance est levée à onze heures.
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